La famille de Dédé Fortin exprime son émotion devant les hommages rendus à leur frère. Un bon texte d'Anne Marie-Gravel.
Lire l'article ici
Texte de Christiane Laforge
lu à la présentation de André Dédé Fortin
au gala de l’Ordre du Bleuet le 2 juin 2018
Le nom André « Dédé » Fortin évoque une troublante émotion qui survit au temps. Ce musicien et poète, né le 17 novembre 1962 à Saint-Thomas Didyme, n’a de ruralité que son enfance sur la ferme familiale. C’est un urbain dans l’âme. De la métropole où il s’installe à 18 ans, il absorbe les bruits, les odeurs, l’effervescence culturelle. Il vampirise la vie pour la dire. Mais la vie a la beauté des roses et la cruauté des épines. Dédé est sans armure, hormis les mots et la musique. Formidable témoin de son époque, il écrit. Il décrit. Sa parole peut être lumineuse, mais plus souvent brutale alors que sa musique, plus festive, invite à la danse. La danse de ses anges et de ses démons. Des vibrations parfois comme un mantra, rythmant le récit d’un vécu. Le sien. Celui des autres. Une musique sans bémol, sans silence, qui saigne de sa blessure de vivre la blessure des autres.
Dixième d’une famille de 12 enfants, dont un décédé à la naissance, André Fortin a pour parents des Jeannois de bonnes souches. Gisèle Tremblay, sa mère, sait lire et écrire un français impeccable, habile couturière dédiée à sa famille. Alfred Fortin, cultivateur, bûcheron, charretier, gérant de chantier, est un homme de paix, doux et généreux. Entouré de ses frères et sœurs, le jeune André insatiable puise ses sources musicales parmi les disques de son frère Claude. Féru de musique rock et populaire ainsi que de blues, de jazz, de swing et de musique du monde, il écoute les Paul Piché, Robert Charlebois, Beau Dommage, Pink Floyd, Genesis. À 10 ans, initié à la guitare par Benoît Fortin, André prend conscience de ses passions : la musique, les arts et le cinéma. Cinéma qui sera le choix de ses études à l’Université de Montréal.
Derrière la caméra, comme réalisateur et monteur, que ce soit à Télé-Métropole pour les émissions Surprise sur prise ou 100 limites ou la réalisation de films courts dont sa chanson Julie, gagnante du Félix Vidéoclip de l’année 1993, ou comme comédien dans le clip Libérez le trésor de Michel Rivard, ou acteur et scénariste de Chasseur de robots, acteur et réalisateur de Terreur dans le Chinatown, Master Kwok, The Advenger of the Night, André démontre une grande polyvalence. Auteur, compositeur, interprète, multi-instrumentiste, il est l’enfant au cerf-volant, la voile gonflée pour glisser à toute vitesse sur les eaux glacées de son Lac-Saint-Jean, pressé de tout explorer… comme s’il y avait urgence.
Batteur dans le groupe Sneakers formé par Éric Henry et Fred Roverselli, André fonde les Colocs au 3e étage du 2116 boulevard Saint-Laurent en 1990 avec Louis Léger, Marc Déry, Jimmy Bourgoing, Patrick Esposito di Napoli et Guy Lapointe. Ils donnent un premier spectacle au Tallulah Darling en octobre. Peu après, plusieurs membres quittent pour des projets personnels. Aux compagnons de la première heure d’autres se substituent. Et c’est avec ses fidèles Jimmy et Patrick, ses recrues Mike Sawatzky et Serge Robert que le groupe entame son ascension. Il fait sa marque au Festival international de rock de Montréal en juin 1991, puis sur plusieurs scènes dont le Quai des Brumes, le Festival d’été de Québec, l’Empire des futures stars, en 1992, pour finalement signer un contrat de disque avec BMG. Leur premier album éponyme et son vidéoclip Julie, en 1993, remportent 4 Félix sur 6 nominations au gala de l’ADISQ. Année après année, les Colocs cumulent les honneurs.
Le groupe initial subit d’autres défections, les musiciens répondant à l’appel d’une carrière solo. De nouveaux noms, dont le Belge André Vanderbiest, comblent les absences. Mais insoutenables sont certains départs. Dédé ne se consolera pas de la mort de Patrick Esposito, victime du Sida, survenue en 1994, peu après la sortie du 2e album Atrocetomique.
Malgré tout, la vie continue. En 1998, Dehors Novembre frôle les 200 000 exemplaires vendus. Les Colocs sont au sommet. Un nouveau siècle s’ouvre à eux. Et pourtant, le 7 mai 2000, Dédé écrit sa dernière chanson :
« Condamné par le doute, immobile et craintif,
je suis comme mon peuple, indécis et rêveur.
Je parle à qui le veut de mon pays fictif,
le cœur plein de vertige et rongé par la peur. »
Le lendemain, seul dans son appartement de la rue Rachel, sombrant dans son vertige, il se suicide. À sa mémoire, ses compagnons de route réalisent l’ultime album des Colocs, Suite 2116, album posthume en hommage à Dédé. En 2009, les Colocs réaliseront un « single » sur lequel on retrouve son dernier texte écrit en trois versions, celle de Dédé très dépouillée, une autre à une voix en tapant du pied, et une troisième version des Clocs réalisée par le guitariste Mike Sawatzky. Intitulé La comète ce texte est une symbiose entre Dédé et ce peuple qui n’a pu être.
Artiste engagé, fervent défenseur du mouvement souverainiste, André Fortin ne connaît pas l’indifférence. Il suffit d’écouter ses chansons pour comprendre qu’il fait sien le poids de la douleur du monde. La pauvreté, l’itinérance, la dépendance, l’injustice, la médiocrité, la solitude nourrissent sa révolte et son mal de vivre. Il cible les coupables, mais leur impunité s’ajoute au poids qui écrase cette sensibilité exacerbée. Alexandre Vigneault du journal La Presse écrit : « Dédé Fortin était un grand escogriffe cyclothymique pas seulement absorbé par ce qui se tramait autour de son nombril, mais aussi sensible aux malheurs du monde. Ses chansons et ses clips gardent des traces de son âme compatissante et de son féroce esprit critique, souvent porté par des musiques enjouées ouvertes aux sonorités d'ailleurs. » Raymond Paquin, son agent, ajoute : « C'était un désespéré en quête d'absolu. Il faisait tout en désespéré. Ça a fini par l'user. Chaque fois qu'il touchait quelque chose, l'univers s'agrandissait encore plus. »
Avec ses Colocs, Dédé Fortin a marqué la chanson québécoise. Son originalité, son engagement, sa force narrative, sa capacité d’intégrer des musiques d’autres provenances culturelles le rendent unique. Raymond Paquin résume : « Il a touché les vrais problèmes sociaux. Il a poussé des cris. Il s'est impliqué comme Dylan ou un chansonnier, au sens le plus noble du terme. Plus le temps passe, plus je réalise que l'œuvre des Colocs est une œuvre viable, qui n'aura rien d'anecdotique. Elle va demeurer une référence parce que c'est la seule de son époque qui traite de la réalité humaine et sociale des années 90. Il a été le porte-parole acerbe de sa génération. »
Au-delà de sa mort, André Fortin insuffle un souffle créateur à ses complices et à ses admirateurs. Des spectacles hommages se multiplient. Des écrivains s’en inspirent pour leurs livres; Jean Barbe écrit une réflexion Autour de Dédé Fortin en 2001; son agent, Raymond Paquin, publie Dédé Quitte ou double en 2004 et le journaliste Philippe Meilleur, rédige la biographie André Fortin : l'homme qui brillait comme une comète en 2013.
En 2009, Jean-Philippe Duval réalise le film Dédé à travers les brumes et le Musée de la Civilisation enrichit sa collection de plusieurs artefacts de l’artiste dont sa guitare Fendre Telecaster. Le concours musical, créé à son nom à Normandin, a hélas pris fin cette année, faute de relève bénévole. Depuis février dernier, des vêtements lui ayant appartenu font partie de l’exposition Sortir de sa réserve : 400 objets d’émotion, présentée au Musée de la civilisation. Cet été, le Cirque du Soleil prévoit présenter le spectacle Colocs-Dédé Fortin pour la 4e saison dans sa série Hommage à Trois-Rivières. Mais parmi tous ces honneurs, le plus bel hommage demeure celui de sa famille qui, en 2006, a mis sur pied la Fondation André Dédé Fortin, transformant la fin brutale de leur frère en espoir pour les personnes luttant contre la maladie mentale et à la tentation du suicide.
Aujourd’hui, l’heure sonne pour nous, gens de sa région natale, afin de répondre à son dernier vœu :
Une voix chaude me dirait : tu brilles comme une comète
André Fortin
Auteur, compositeur, interprète, cinéaste, fondateur des Colocs
pour sa contribution exceptionnelle à la chanson québécoise
fut reçu, à titre posthume
Membre de l’Ordre du Bleuet
POURQUOI L'ORDRE DU BLEUET
L'intensité et la qualité de la vie culturelle et artistique au Saguenay-Lac-Saint-Jean est reconnue bien au-delà de nos frontières. Nos artistes, par leur talent, sont devenus les ambassadeurs d'une terre féconde où cohabitent avec succès toutes les disciplines artistiques. Cet extraordinaire héritage nous le devons à de nombreuses personnes qui ont contribué à l'éclosion, à la formation et au rayonnement de nos artistes et créateurs. La Société de l'Ordre du Bleuet a été fondée pour leurs rendre hommage.La grandeur d'une société se mesure par la diversité et la qualité de ses institutions culturelles. Mais et surtout par sa volonté à reconnaître l'excellence du parcours de ceux et celles qui en sont issus.